Communication persuasive vs. influence ?

Serait-il pertinent d'opposer la notion de communication persuasive à celle d'influence, et selon quels critères exactement?

Dans les débats critiques des activités de communication, ce sont principalement des positions simplistes qui émergent dans les médias. Généralement, est d'abord mise en scène une critique militante de la « manipulation des masses par la publicité » et de la « corruption qui gangrène le lobbying ». Puis, au titre du contradictoire, la parole est donnée à des représentants du secteur de la communication affirmant la souveraineté du consommateur, l'utilité informationnelle de la publicité dans la détermination des « préférences » des consommateurs ou celle des activités de représentations d'intérêts pour « éclairer » les décideurs politiques.

Dans ce contexte, il n'est pas simple de trouver les mots pour distinguer ce que serait une « bonne communication », celle qui serait dans son noble rôle d'optimisation de l'échange d'information entre des interlocuteurs, de la « mauvaise communication », celle qui abuserait à dessein de la confiance et des faiblesses de l'autre? Comment nommer ces deux pôles conceptuels et surtout, quels critères choisir pour identifier le passage de l'un à l'autre ?

Doit-on opposer les mauvaises pratiques de la « com » à celles de l'idéal non compromis de la « communication », comme peuvent le faire aussi bien des acteurs de l' « antipub », des universitaires du champs des sciences de l'information et de la communication qui se saisissent de ces débats, ou même des professionnels du secteur que l'abréviation « com » dérangent ?

Le droit à la « communication persuasive unilatérale »

En réalité, lorsque l'on discute des activités de l'industrie de la communication, il n'est déjà plus question de simple « communication », qui s'applique à l'échange bilatéral entre des interlocuteurs, dans lequel le « feedback » joue un rôle central. La fonction de cette communication est d'ajuster les messages qui circulent, et rapprocher ce qu'une partie souhaite transmettre de ce que l'autre partie réussit à percevoir. La communication humaine place ainsi au centre les enjeux d'interprétation par les être pensants, qu'ils soient émetteurs ou récepteurs.

Clairement, l'industrie de la communication verse uniquement dans la « communication persuasive », dans laquelle est prise en compte la dimension stratégique de l'activité : l'émetteur du message vise à produire des effets sur le récepteur, qui devient pour le premier un « public cible ». Il est possible que les deux parties en communication soient engagées dans une stratégie de communication persuasive. Si chacun manie brillamment l' « art de convaincre » et l' « éloquence », cela peut donner lieu à d'admirables joutes verbales et intellectuelles.

Il est aussi possible qu'un seul des interlocuteurs ait une intention autre que l'échange d'information, qu'il soit le seul à aborder le processus en ayant des objectifs à atteindre. Cela peut-il suffire à mettre la communication persuasive, lorsqu'elle est unilatérale, du mauvais côté de l'histoire ? Cela semblerait naïf, et probablement un peu court sur le plan analytique.

On peut en revanche approfondir l'analyse des types d'objectifs que poursuivent ceux qui, de manière unilatérale, ont recours à la communication persuasive. En effet, parfois, convaincre l'individu-récepteur n'est pas nécessairement un résultat suffisant, et l'objectif poursuivi peut aller jusqu'à la modification de son comportement en société. Or, compte-tenu du rôle majeur, chez les humains, de l'émotion dans l'assimilation des informations et la détermination de ses comportements, l'objectif d'un impact sur le comportement peut conduire à engager des stratégies additionnelles au seul effort de conviction : des stratégies de séduction aussi basées sur le profil émotionnel de l'interlocuteur. A ce stade, le récepteur n'est pas nécessairement nié dans son statut d'être pensant, il est plutôt aussi considéré comme un être émotionnel, donc finalement un être complexe, doté d'une capacité d'analyse rationnelle mais limitée.

Autrement dit, s'il y a de la malice de la part de l'émetteur, la liberté du récepteur n'est pas niée, et l'exercice relève toujours, à mon sens, du domaine de la communication.

Le positionnement attribué aux récepteurs, au centre de tous les débordements

En revanche, lorsque manifestement l'émetteur de messages ne s'investit plus sur la mobilisation d'arguments rationnels - dont le poids dans le discours est alors nul ou négligeable - tandis que les stratégies de séduction (ou de conditionnement) constituent l'essentiel ou l'entièreté de sa stratégie, une frontière n'est-elle pas franchie ? Dans ce cas, l'émetteur cherche à jouer directement sur les déterminants comportementaux de l'individu-récepteur (biais cognitif, circuit de la récompense, etc.), limitant ainsi sa capacité à mobiliser son libre-arbitre. Ce faisant, l'émetteur ne positionne plus l'individu-récepteur comme un sujet, ultime responsable de ses choix, il le projette plutôt comme un objet, irresponsable et prédéterminé.

Et si l'on se replace dans l'environnement social, complexe et médiatique, constitué de nombreuses sources d'informations et flux de messages : que dire lorsqu'un émetteur semble poursuivre un travail de conviction auprès d'autres individus, axé sur la mobilisation d'arguments rationnels, mais qu'en réalité, il l'accompagne également d'une stratégie de contrôle de l'ensemble de l'univers informationnel du récepteur ? Cela signifie que l'émetteur ne cherche pas seulement à persuader le récepteur par ses messages « officiels », mais qu'il travaille aussi sur des messages que le récepteur croit envoyés par d'autres émetteurs... Dans ce cas, le récepteur reste positionné comme un sujet pensant, mais sa capacité d'esprit critique est neutralisée dans la mesure où il est l'otage d'un environnement informationnel (presque) entièrement contrôlé par l'émetteur.

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