Pour une véritable régulation de la publicité

L’économiste Mathilde Dupré et le politiste Renaud Fossard, co-auteurs du récent rapport intitulé La communication commerciale à l'ère de la sobriété, soulignent, dans une tribune au « Monde », le rôle majeur de la communication commerciale dans la surconsommation, et la nécessité de mieux la contrôler.

Pour la première fois, en 2022, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a souligné le caractère incontournable de la sobriété dans la lutte contre le dérèglement climatique, évoquant aussi la « régulation de la publicité » comme un des outils appropriés pour promouvoir des modes de consommation plus sobres. En effet, l'impact économique et écologique de la publicité mérite d'être exploré et débattu bien plus qu'il ne l'est aujourd'hui. Alors qu'Emmanuel Macron annonce « la fin de l'abondance », les quelque 34 milliards d'euros de dépenses annuelles en publicité et marketing promotionnel - un montant comparable à l'effort des entreprises françaises en matière de recherche et développement - continuent de doper des modèles économiques fondés sur la surconsommation et incompatibles avec les limites planétaires.

Depuis plus d'un siècle, la publicité est traitée par la théorie économique dominante comme un simple vecteur d'information pour les consommateurs : à l'échelle d'un secteur économique, les campagnes publicitaires ne feraient que modifier la répartition des parts de marché entre les entreprises, dans un jeu à somme nulle. Un outil purement informatif et concurrentiel qui ne soulèverait donc pas véritablement d'enjeux politiques, et donnerait ainsi aux pouvoirs publics peu de raisons d'intervenir.

Cette vision simpliste ne résiste pas aux récents travaux de recherche, qui indiquent que la publicité revêt aussi une dimension persuasive, et qu'elle accroît également la demande agrégée.

Bannir certains produits polluants

Une nouvelle étude universitaire sur les effets économiques de la communication commerciale livre un diagnostic inédit sur le marché français (Advertising, Promotional Marketing and the Aggregate Economy : Evidence from France - lien externe, Samuel Delpeuch et Francesco Turino, document de travail, octobre 2022). Au cours des trente dernières années, les dépenses de publicité et marketing ont conduit à une augmentation cumulée de la consommation des ménages de 5,3 %, et à un renforcement du poids de la consommation au sein du produit intérieur brut. En cause, la forte pression publicitaire, qui conduit les individus à se sentir frustrés de leur niveau présent de consommation et à renouveler toujours plus rapidement des produits qui fonctionnent encore. Ce qu'on appelle l'« obsolescence marketing ». Pour financer cette consommation additionnelle, les Français ont travaillé plus, au détriment de leur temps libre et au prix d'une légère baisse de leur salaire moyen.

Dans les pays riches comme la France, la consommation des ménages constitue une source importante des émissions de gaz à effet de serre. La publicité a donc un impact écologique qui est d'autant plus fort que les dépenses en la matière se concentrent massivement sur une poignée de produits et de services polluants, tels que la voiture individuelle (en particulier les SUV), le fast-food ou encore les sodas (deux types de nourriture qui, outre l'accumulation de déchets, plastiques notamment, posent aussi des enjeux majeurs de santé publique).

Une véritable régulation de la publicité s'impose, et plus encore dans le cadre de la planification écologique. Trois éléments paraissent essentiels.

Premièrement, pour prévenir efficacement les incitations à l'obsolescence marketing et le « greenwashing », il est temps de confier la régulation des contenus publicitaires à une autorité indépendante et non aux organismes contrôlés par la profession elle-même.

Deuxièmement, l'accès au marché publicitaire doit aussi être barré pour une poignée de produits qui sont particulièrement polluants ou néfastes pour la santé publique (voitures individuelles à moteur thermique, voyages en avion ou produits alimentaires de Nutriscore D ou E), à l'instar des règles qui existent dans de nombreux pays sur le tabac ou à Singapour pour les boissons sucrées.

Incontournable

Troisièmement, la lutte contre la surconsommation et l'obsolescence marketing suppose également d'agir sur le niveau général de pression publicitaire. Selon l'étude précitée, un triplement du (très faible) niveau actuel de taxation des dépenses publicitaires permettrait de les réduire de l'ordre de 14 %, tout en améliorant le bien-être des consommateurs, dans la mesure où les effets du ralentissement de la consommation seraient plus que contrebalancés par ceux de la baisse du temps de travail. La mise en place d'une taxe à 8 % des dépenses de publicité rapporterait en moyenne 1,66 milliard d'euros aux pouvoirs publics pendant trois ans. Avec moins de 500 entreprises qui contrôlent les deux tiers des dépenses dans les campagnes nationales, la taxe pourrait cibler uniquement les grands annonceurs, comme celle en vigueur sur les dépenses promotionnelles dans le secteur pharmaceutique. Au contraire, les secteurs économiques particulièrement utiles à la transformation écologique, tels que le réemploi, le bio ou les énergies renouvelables, devraient en être exemptés.

Il est plus que temps de faire entrer la communication commerciale dans l'ère de la sobriété. Alors que 83 % des Français, selon le baromètre Greenflex-Ademe 2022 - lien externe, souhaiteraient « vivre dans une société où la consommation prendrait moins de place », la régulation de la publicité apparaît incontournable. Elle est utile pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, juste socialement, et décisive pour rendre désirable le monde qui se prépare.

Retrouvez la tribune en ligne - lien externe sur le site du journal Le Monde.

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