« Influence responsable » : promesse éthique ou nouvel avatar du greenwashing ?

Le pouvoir des influenceurs sur les décisions d'achat des consommateurs ne cesse de croître. Face à cet essor, la question de la responsabilité des influenceurs s'impose. Transparence, impact sur la santé psychologique des consommateurs... Les enjeux sont nombreux. Le concept d'influence « responsable » prend de l'ampleur, porté par les organes d'autorégulation, mais le certificat qu'ils délivrent est-il vraiment gage d'éthique et de responsabilité ?

L’impact des influenceurs et leur responsabilité

Le pouvoir des influenceurs sur les décisions d'achat des consommateurs ne cesse de croître. 53% des consommateurs ont acheté des produits ou services recommandés par des influenceurs1, ce qui prouve leur impact considérable. Le marché du marketing d'influence devrait se développer pour atteindre 38,2 milliards de dollars d'ici 20302. Face à cet essor, une question s’impose : quelle est la responsabilité des influenceurs ?

Transparence, impact sur la santé psychologique des consommateurs... Les enjeux sont nombreux. Le concept d'influence « responsable » prend de l'ampleur, porté par des acteurs comme l'ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) et son certificat devenu récemment Européen. Si le certificat « d’influence responsable » de l'ARPP3 vise à promouvoir une pratique éthique et responsable du marketing d'influence, son impartialité peut être remise en question du fait de sa délivrance par un organisme d'autorégulation. Ce certificat est-il vraiment gage d'éthique et de responsabilité ?

1. BEUC | The European Consumer Organisation Consumer survey results on the fairness of the online

2. Market research future

3. Certificat de l’Influence Responsable

Certificat d’influence responsable : un gage d’éthique ou un argument marketing ?

Plus on entre dans les détails et plus les doutes s’accumulent. En effet, le certificat se concentre principalement sur les obligations légales de base. Or, l'intérêt d'un certificat "responsable" n'est-il pas, précisément, d'aller au-delà de la législation en vigueur ? La formation, d’une durée de seulement 3h30, survole des sujets comme la législation de l’influence commerciale, les allégations cosmétiques, la publicité pour l’alcool et des principes déontologiques Cela reste cependant bien trop succinct pour aborder toute la complexité des enjeux éthiques et sociétaux liés à l’influence. Même le QCM pour obtenir le certificat semble lui aussi peu exigeant, avec un seuil de réussite fixé à seulement 75 % de bonnes réponses et une durée limitée à 20 minutes. De plus, les candidats peuvent se présenter autant de fois qu'ils le souhaitent, ce qui soulève des interrogations sur la rigueur du processus. A cela s'ajoute le manque de transparence concernant les critères précis d'évaluation, l'apprentissage et l'évaluation à distance...

Les failles du processus de certification sont nombreuses. Si bien qu’on peut se demander où est la véritable valeur ajoutée de ce certificat. Comment garantir l'éthique et la responsabilité avec un tel système ? N'est-il pas illusoire de prétendre que des influenceurs peuvent devenir responsables en quelques heures de formation ? Pour l'heure, le certificat ne constitue pas une certification professionnelle. Il s'agit davantage d'un argument marketing que d'une garantie authentique de compétences accrues en matière de responsabilité.

Les données de l’ARPP sur l’influence responsable méritent une lecture attentive. L'organisme met en avant un chiffre impressionnant : « 98% de contenus postés par les influenceurs certifiés, possèdent au moins un début d'identification ». Ce chiffre - la quasi-totalité des contenus - est frappant, mais la notion dont il offre une mesure est bancale : « un début d’identification ». Cette formule aux contours floues permet d’inclure les 13% des contenus « améliorables », autrement dit, qui ne respectent pas la déontologie, aux côtés des contenus valides... Le taux de conformité réel est donc de 85%, bien inférieur aux 98% annoncés par l'ARPP.

De plus, le schéma présenté par l'ARPP semble exclusivement axé sur l'identification des partenariats commerciaux. Or, la conformité d’un contenu ne se limite pas à cet aspect précis. Un contenu peut respecter les règles d’identification des partenariats commerciaux, mais rien ne garantit qu’il se conforme également à d’autres législations ou principes déontologiques, comme ceux relatifs aux allégations environnementales.

Une autre inquiétude découle de ces rapports de l'ARPP : elle ne fournit pas de définition claire des termes « contenu conforme », « améliorables », ce qui suscite des interrogations sur la transparence et la rigueur du processus de certification.

Une autorégulation insuffisante face aux enjeux

D'ailleurs, en cas de non-respect, aucune sanction ne peut être appliquée à part le retrait du certificat - pas de quoi dissuader les mauvaises pratiques que je constate régulièrement sur les réseaux sociaux de la part des personnes certifiées. Ma crainte est que la certification puisse être perçue à tort par le public comme un gage de qualité, en raison d'un manque de connaissance des critères d'attribution et de fonctionnement. Cette méprise peut conduire à l'idée que les influenceurs certifiés sont meilleurs ou plus dignes de confiance, alors qu’à ma connaissance, leurs pratiques réelles ne reflètent pas nécessairement cette distinction.

L'autorégulation du marketing d'influence, menée par des agences et diverses organisations, n'est donc pas sans poser problème. Ne risque-t-elle pas de véhiculer des idéaux illusoires, reproduisant les mêmes schémas que les entreprises pratiquant le greenwashing ? Ne devrait-on pas ajuster le discours d'influence “responsable”, avec plus de sobriété pour mieux refléter la réalité ?

Les partenariats de l'ARPP avec des acteurs influents risquent de restreindre la diversité des voix et des points de vue dans le débat sur le marketing d'influence. L'interconnexion des acteurs impliqués dans l'autorégulation du marketing d'influence, tels que l'ARPP, l'Observatoire de l'influence et l'UMICC4 (Union des Métiers de l'Influence et des Créateurs de Contenu), peut non seulement limiter une évolution nécessaire de l'encadrement des influenceurs, mais également entraver une réflexion plus critique. Il est crucial d'adopter une approche holistique qui prenne en compte les différentes perspectives et problématiques.

Pour ma part, je vois plutôt le certificat « d'influence responsable » comme une chimère, car il ne s'attaque pas au cœur du problème : le modèle économique basé sur la surconsommation. La problématique réside principalement dans le fonctionnement systémique des influenceurs, malgré leurs revendications « responsables » : ils évoluent dans un modèle économique capitaliste dont l’objectif est de stimuler la consommation à travers des partenariats, car c'est ainsi qu'ils génèrent leurs revenus. À cela s’ajoutent les pressions du marché, les dynamiques sociales et les attentes du public.

4.  Union des Métiers de l'Influence et des Créateurs de Contenu, fédération professionnelle dédiée au secteur de l'influence en France.

Un observatoire indépendant : pour éclairer et sensibiliser les pratiques d'influence

Face à une autorégulation qui manque de preuves concrètes d'efficacité et aux dérives croissantes des pratiques de marketing d'influence, la création d'un observatoire indépendant m'apparaît comme une solution évidente. Les contrôles de la DGCCRF sur une période de deux ans (2022-2023) ont révélé que près de la moitié des influenceurs contrôlés n'étaient pas en conformité. De plus, une enquête européenne dans le cadre de l'opération 2024 « Coup de balai » a confirmé cette tendance alarmante : bien que 97 % des influenceurs publient du contenu commercial, seulement 20 % d'entre eux le présentent systématiquement comme de la publicité. Ces chiffres illustrent clairement les limites de l'autorégulation actuelle.

La création d’un observatoire permettrait de mettre en lumière la réalité des pratiques et ainsi de penser une approche plus ambitieuse pour l'encadrement des influenceurs, en s'affranchissant des contraintes et des intérêts particuliers qui limitent l'efficacité des initiatives actuelles du système d'autorégulation. Un tel organisme, impartial, pourrait également avoir pour mission de protéger les consommateurs en les sensibilisant aux pratiques des influenceurs, en collectant des données indépendantes et en menant des campagnes de sensibilisation, en particulier auprès des plus jeunes, plus vulnérables face aux mécanismes de persuasion (relation parasociale) en raison de leur manque d'expérience critique face à la publicité déguisée et aux partenariats commerciaux.

Sur les pages « Points de vue », le Comité éditorial de Communication et démocratie publie les analyses et opinions de leurs auteurs. Ces contenus alimentent en permanence la réflexion interne de l’association, et l’association considère qu’ils contribuent utilement au débat public sur les enjeux de communication. Ces « points de vue » reflètent les opinions de leurs auteurs et n’engagent pas l’association politiquement.

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