La publicité nous manipule-t-elle ? Première partie : les preuves scientifiques

De nombreuses recherches scientifiques montrent que la publicité et la communication commerciale peuvent manipuler les citoyens, c'est-à-dire les influencer sans qu'ils en soient conscients. Quatre mécanismes ont été mis en évidence par les chercheurs.
La publicité est effectivement un outil pouvant être utilisés à des fins de manipulation au cœur de nos sociétés qui se veulent pourtant « démocratiques ».

La publicité et, plus généralement, la communication commerciale concernent l'ensemble des actions utilisant les médias et réseaux numériques (Internet, télévision, radio, affichage…) par lesquelles des entreprises cherchent à agir sur les pensées, les affects (émotions, attitudes) et les comportements des personnes, pour améliorer l'image de leurs marques, leur notoriété et leurs ventes.

Ainsi, les entreprises ont de multiples possibilités pour promouvoir leurs marques et leurs produits : messages publicitaires sous forme de messages vidéo ou audio de plusieurs secondes sur Internet, à la télévision ou à la radio ; bannières ou sites sur Internet ; panneaux dans les rues ; présence dans les jeux vidéo, les films ou les événements sportifs et culturels ; vidéos des influenceurs sur les réseaux sociaux, applications mobiles…

Depuis quelques décennies, les recherches scientifiques montrent clairement que la communication commerciale influence les individus sans qu'ils en soient conscients. Dès lors, peut-on considérer que nous avons affaire à des phénomènes de manipulation au cœur même de nos démocraties ? Pour répondre à une telle question, commençons par définir la manipulation. Pour Jean-Léon Beauvois (2011, p. 324), auteur de référence dans ce domaine, une personne est manipulée quand ses pensées, idées, goûts ou comportements sont influencés par les actions délibérées d’un appareil social (ici la communication et la publicité commerciales) sans que la personne en ait conscience.

Pour qu’il y ait manipulation, il faut donc que les personnes n’aient pas conscience qu’elles ont été influencées. Mais que signifie « ne pas avoir conscience » ? Dans la plupart des travaux scientifiques, les chercheurs s’accordent souvent sur une définition du caractère « non conscient », aussi appelé « implicite », des phénomènes étudiés : ils considèrent que ces phénomènes ne sont pas verbalisables par les personnes, suite à une introspection, ou que la verbalisation ne permet pas de décrire ou d’expliquer de manière valide et complète le phénomène psychologique en question (Courbet et Fourquet-Courbet, 2014).

Rien d’anormal à tout cela : notre cerveau est un organe particulièrement complexe. Il est en activité permanente et traite des masses considérables d’informations. Nous ne savons pas toujours et exactement ce que font nos neurones ; il est donc difficile de mettre des mots sur ce qui s’y passe. Dans notre environnement, seules les informations importantes attirent notre attention. Parce qu’elles ne sont pas importantes pour nous, les autres informations passent inaperçues, même si le cerveau en analyse tout de même une grande partie, mais très rapidement. Pour notre cerveau, la plupart du temps, les publicités sont considérées comme des informations peu importantes : elles sont très rapidement analysées et en dessous du seuil de conscience. Or les publicitaires se tiennent très informés des recherches concernant le fonctionnement du cerveau. Ils utilisent une multitude de techniques pour faire en sorte que les publicités soient mémorisées et nous influencent.

Le but des recherches scientifiques n’est pas d’aider les publicitaires, mais de mieux comprendre, sur un plan théorique, comment fonctionnent ces phénomènes. Les chercheurs ont mis en évidence quatre grands types de mécanismes psychologiques par lesquels les individus sont influencés par la publicité sans en être conscients. Nous les présentons successivement et donnons quelques résultats particulièrement illustratifs.

Les effets de la perception non consciente des marques

Dans la vie quotidienne, il existe de nombreux exemples où des marques apparaissent dans le champ visuel ou auditif des individus, sans qu’ils y prêtent attention (Courbet & Fourquet-Courbet, 2014). Si perception, mémorisation et influence il y a, elles ne sont pas conscientes. Cela se produit notamment lorsqu'un individu concentre son attention sur une certaine zone d'un support médiatique (par exemple sur un texte sur Internet), tandis qu'une marque est affichée dans une publicité hors de sa zone de focalisation visuelle. Sans bouger les yeux, le récepteur n’est alors pas capable de dire quelle marque figure sur la publicité.

Plusieurs expériences portant sur les effets de marques perçues en dehors du champ visuel focalisé ont identifié des processus capables d’activer automatiquement des représentations cognitives d'une marque déjà enregistrée en mémoire, et de pré-activer également un réseau de représentations associées à la marque en mémoire (Shapiro et al., 1997 ; Krishnan & Chakravarti, 1999). Les processus automatiques sont des activités non conscientes qui n’utilisent pas d’attention et qui sont inaccessibles à l’expérience subjective. Ils sont involontaires (la volonté ne joue aucun rôle dans leur déclenchement), rapides et irrépressibles (il est impossible de modifier intentionnellement leur déroulement) (Bargh, 1992). Lors de la perception non consciente, de telles activités automatiques entraîneraient une meilleure appréciation de la marque annoncée. Cette dernière a alors plus de chance d’être choisie.

De tels effets de perception non consciente ont été identifiés dans des expérimentations utilisant, d’une part, des marques réelles pour lesquelles les individus avaient déjà des représentations en mémoire et, d’autre part, de nouvelles marques conçues pour les besoins de la recherche. Dans ce dernier cas, des apparitions répétées du logotype de la marque (par exemple, 15 fois dans Courbet et al., 2008) conduisent à l’émergence de représentations en mémoire ainsi que la formation d’attitudes implicites favorables.

Les influences des expositions à faible niveau d'attention : la simple exposition aux marques et la simple exposition oubliée

Lorsqu’un spectateur regarde un sportif apparaissant au premier plan sur l’écran et qu’une marque parrainant l’événement apparaît sur une petite surface au second plan, il entrevoit souvent rapidement la marque et l’oublie aussitôt. Aucun jugement explicite n’est alors porté sur cette dernière.

De même, il arrive fréquemment qu’un récepteur alloue si peu d’attention à une publicité qu’il perçoit le logotype ou le nom de la marque de manière très brève, sans réellement s’intéresser à la narration publicitaire. Dans ces deux cas, quelle est l'influence d'une exposition rapide et unique au logotype ? De nombreuses recherches montrent que de simples expositions courtes et répétées à divers types de stimuli suffisent pour que leurs représentations soient stockées en mémoire et appréciées (Bornstein, 1989).

En étudiant les effets d'une simple exposition auditive à une marque, Holden et Vanhuele (1999) ont démontré qu’un jour après avoir entendu, une seule fois, le nom d'une marque fictive, les participants avaient la fausse impression que cette marque était bien connue, un phénomène comparable à l’« effet de fausse célébrité ».

Les effets de la simple exposition visuelle se produisent également sur Internet, où des expositions rapides à des publicités laissent des traces en mémoire chez des sujets qui ont pourtant oublié avoir vu ces messages (Shapiro et Krishnan, 2001). Les effets positifs sur l'attitude, c’est-à-dire sur l’évaluation affective, restent identifiables sept jours après l'exposition. Ces effets persistent dans deux situations : (a) lorsque les sujets se souviennent de l’exposition mais pas des marques vues une semaine auparavant (Holden et Vanhuele, 1999) ; et (b) lorsque les sujets ne se souviennent ni des marques ni de l’exposition.

Par exemple, dans une expérience menée par Courbet et al. (2015), les participants ont été exposés à des publicités de type pop-up (texte ou image) pour une marque fictive sur Internet. Ces pop-ups apparaissaient quatre fois, pendant trois secondes à chaque occurrence. Les effets ont été mesurés sept jours et trois mois après l'exposition, alors que les participants ne se souvenaient ni des publicités ni des marques. Les résultats ont montré (a) des effets positifs globaux des pop-ups et (b) une supériorité des images par rapport aux mots pour influencer positivement l’attitude implicite envers la marque et les intentions d'achat.

Pour expliquer les influences induites par la perception non consciente d'une marque et par les effets des simples expositions, les chercheurs s’appuient sur des modèles de psychologie cognitive. Prenons l'exemple d'une nouvelle marque, inconnue du sujet, vue pour la première fois dans une publicité traitée rapidement et superficiellement. Lorsqu’un récepteur a un ou plusieurs contacts sensoriels rapides, des représentations approximatives de la structure du logotype se forment automatiquement en mémoire, sans qu’il en ait conscience.

Lorsque, quelques jours plus tard, le récepteur rencontre à nouveau la marque, par exemple en magasin, il est incapable de rappeler le contexte de l’exposition ni de reconnaître avoir vu la marque dans des publicités. Cependant, son système perceptif infra-conscient « reconnaît » le logotype et le traite plus rapidement, sans intervention de la conscience. Ce phénomène, appelé fluidité perceptuelle (Mandler, 1980), s’accompagne d’une attribution erronée : le consommateur interprète inconsciemment cette fluidité comme un signe positif sur la marque, par exemple une perception de haute qualité (Whittlesea, 1993). À chaque nouvelle exposition, cette fluidité perceptuelle augmente, rendant les représentations en mémoire plus accessibles et influençant les décisions d’achat de manière automatique. Cette attribution erronée de la fluidité perceptuelle amène le consommateur à penser, par exemple, que la marque est de haute qualité.

Les effets non conscients du conditionnement évaluatif

En contexte publicitaire, le conditionnement évaluatif se produit lorsque l’évaluation affective d’une marque est formée ou modifiée par l’association répétée avec un stimulus chargé affectivement : les propriétés de ce stimulus (appelé stimulus inconditionnel, par exemple une musique agréable) sont transférées sur la marque, dont l’évaluation s’en trouve améliorée.

Par exemple, au départ, une marque inconnue n’évoque pas d’émotion particulière. Dans une publicité, un élément qui suscite une émotion positive (un joli visage qui sourit) est présenté de manière répétée à côté du logotype ou du produit de la marque. Après plusieurs répétitions, la marque est perçue de manière plus positive, même si, plus tard, le récepteur ne se souvient pas explicitement que la marque était associée à un visage souriant.

Les individus n’ont pas conscience que les affects générés par les éléments montrés à côté de la marque ont été, dans la mémoire du récepteur, directement « transférés » sur la marque et associés à elle.

C'est le troisième type d'influence non consciente de la communication commerciale. Les effets du conditionnement des attitudes ont été largement démontrés dans divers contextes publicitaires. Par exemple, Dempsey et Mitchell (2004) ont montré que l’évaluation affective d’une marque fictive de stylos, associée à des images positives, était plus favorable que celle d’une marque associée à des images négatives. Kim et al. (1996) ont associé une marque de pizza fictive à celle d'une voiture de course. Après dix expositions, les participants estimaient que le temps de cuisson nécessaire pour cette marque de pizza était plus court que celui des participants du groupe témoin, qui avaient vu la marque de pizza seule, sans la voiture de course. Les effets du conditionnement évaluatif sont plus marqués dans la formation d’attitudes (comme dans le cas des nouvelles marques) que dans la modification d’attitudes déjà établies (cas des marques familières).

Les effets non conscients des contextes émotionnels

Lorsqu’une marque est perçue consciemment alors que l’individu éprouve des émotions positives, ces émotions modifient les traitements portant sur la marque en mémoire de travail, sans que la personne en ait conscience.

Les recherches sur les effets des publicités diffusées dans des contextes émotionnels positifs, par exemple après un programme télévisé amusant, montrent qu’une valence émotionnelle positive a un impact favorable sur l’attitude envers la marque publicisée. Ce phénomène est connu sous le nom d’effet d'assimilation.

Par exemple, Courbet (2000) a étudié l'impact du parrainage télévisuel, où une marque inédite sponsorisait deux émissions quasi identiques, l’une joyeuse et l’autre triste. Une partie des participants voyait l’émission joyeuse, tandis que l’autre voyait l’émission triste. Les effets sur les jugements et l’attitude envers la marque ont été mesurés une semaine plus tard, en s’assurant que les participants n’avaient plus aucun souvenir de la marque. Les résultats ont révélé que la marque parrainant l’émission joyeuse était significativement mieux appréciée que celle parrainant l’émission triste, conformément au modèle d’assimilation.

Dans le placement de produits ou de marques dans des films, Russell (1998) a proposé un modèle similaire : une marque est plus appréciée lorsqu’elle est intégrée dans un programme heureux (plutôt que triste ou neutre), même si plus tard, l’individu ne se souvient pas du contexte d’exposition.

Certaines études ont utilisé des mesures implicites pour réduire la probabilité que le récepteur se souvienne de l’exposition ou du contexte d’insertion. Ces recherches ont montré que l’exposition à un film contenant une marque, même si elle n’est pas explicitement mémorisée, renforce l’intention de choix de cette marque et améliore l’attitude envers elle.

Conclusion

Les recherches scientifiques ont mis en évidence quatre grands types de processus et d’effets non conscients qui peuvent être instrumentalisés à des fins de manipulation (Beauvois, 2011).

Dans la seconde partie de cet article (lien externe), nous ouvrirons un débat idéologique concernant les implications humanistes et sociétales des techniques de communication mises en œuvre par les entreprises pour influencer de manière non consciente. Nous questionnerons ce type de pratiques en lien avec la liberté et le bonheur des individus dans nos sociétés pourtant appelées démocratiques.

Bibliographie

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Sur les pages « Points de vue », le Comité éditorial de Communication et démocratie publie les analyses et opinions de leurs auteurs. Ces contenus alimentent en permanence la réflexion interne de l’association, et l’association considère qu’ils contribuent utilement au débat public sur les enjeux de communication. Ces « points de vue » reflètent les opinions de leurs auteurs et n’engagent pas l’association politiquement.

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