Élargissons la discussion sur le plan philosophique et questionnons la relation entre la communication commerciale, l’action qu’elle influence et la liberté humaine. L’action d’achat influencée de manière non consciente par la communication commerciale est-elle une action libre?
Partons de la conception classique, la liberté comme autonomie rationnelle. Frankfurt (1988) explique que l’homme ne peut accéder à la liberté qu'en possédant des volontés dites « de deuxième niveau » : il souhaite que ces désirs viennent de lui-même.
Dans notre vie sociale, l’absence de conscience d’un grand nombre de mécanismes fondamentaux conduit à une impénétrabilité psychologique, cognitive et émotionnelle qui nous empêche d'avoir conscience des véritables déterminants de nos actions (Wegner, 2017 ; Proust, 2005). C’est problématique car l’être humain a besoin de donner des causes à ses actions : il construit la signification de ses pensées et de ses actes en leur attribuant souvent, sans en avoir conscience et a posteriori, de « fausses raisons » ou « fausses causes ». Par exemple, une fois que l’acte est réalisé, je donne, aux autres et parfois à moi-même, des causes qui sont socialement valorisées, qui me permettent de « garder la face », alors qu’en réalité, je ne sais pas trop pourquoi j’ai agi ainsi.
Ainsi, pour le dire simplement, les personnes ne savent pas que leur cerveau met en œuvre, à leur insu, des traitements non conscients qui les conduisent à être attirés par les marques publicisées. De la même manière, quand nous prenons une décision, notre cerveau nous incite à faire des erreurs ou des raisonnements non rationnels. Ce type d’erreurs prend parfois le nom de biais cognitifs. Notre cerveau fonctionne ainsi et il est difficile de l’en empêcher. Les annonceurs le savent bien et en jouent !
Ainsi, dans le modèle de la fausse attribution de la fluidité cognitive (Courbet, 2003), la personne pense à tort qu’elle a elle-même décidé d’acheter la marque, en raison par exemple de la bonne qualité des produits. Cependant, en réalité, c’est un effet de simple exposition aux messages.
Les influences non conscientes orientent, en amont de l’action, les croyances et désirs. Elles limitent l'autonomie du sujet, sa capacité et sa volonté de se gouverner par ses propres règles. Dans ce contexte, la communication commerciale est une limite de la liberté rationnelle et morale. En effet, ce n’est plus la volonté de la personne qui est la cause première de l’acte d’achat.
Rappelons qu’une personne est manipulée quand ses pensées, idées, goûts ou comportements sont influencés par les actions délibérées d’un appareil social (ici la communication et la publicité commerciales) sans que la personne en ait conscience (Beauvois (2011, p. 324). Dès lors, la problématique s’étend au politique : un système politique qui permet l’utilisation de telles pratiques de manipulation est-il réellement démocratique ? Répondre à une telle question dépasse le cadre de cet article, mais, on le voit, les enjeux liés à ces questionnements sont aussi nombreux qu’importants pour la vie collective.