Le « rapport SGPE » : il y aura un avant et après
Ça y est, il a fuité. Et tout dans ce rapport est explosif. Il promet de faire bouger les lignes sur la régulation de la publicité, à court terme peut être déjà, à long terme assurément.
Le rapport des inspections des finances, de la culture et du développement durable1, missionnées par le premier ministre Gabriel Attal en juillet 2024 pour « [évaluer] l'impact de la publicité sur les comportements de consommation et de l'efficacité de la régulation des communications commerciales (CC) au regard des enjeux environnementaux » vient de fuiter dans la presse, le 25 mars 20252.
Annoncé par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) dans son document de travail « La planification écologique pour l’économie circulaire » publié en juillet 20233, et finalisé en décembre 2024, il était en effet retenu depuis trois mois par le gouvernement.
Intitulé « Contribution et régulation de la publicité pour une consommation plus durable », ce rapport est le fruit d’un grand nombre d’auditions, dont celle de Communication et démocratie, avec l’ Institut Veblen, le 24 septembre 2024.
1. Inspections générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), Inspection générale des finances (IGF), Inspection générale des affaires culturelles (IGAC).
2. 1. Le média l'Informé, par un article de la journaliste Aline Robert, est le premier à avoir rendu ce rapport public, accompagné d'un article (lien externe) accessible aux abonnés.
3. Ce rapport a été réalisé par les Inspections générales de 3 ministères, missionnées en juillet 2024 par le 1er ministre d’alors. De plus, ayant fuité, il n’est pas à ce stade, assumé par un ministère ou par le SGPE. Le titre de cet article évoque le « rapport SGPE » dans la mesure où le SGPE était à l’origine de la demande.
Le rapport est monumental : au delà des 40 pages de « rapport » proprement dit , pour synthétiser le diagnostic et livrer un feuille de route et des 30 pages pour détailler 13 propositions (assorties pour certaines de plusieurs sous recommandations), il contient 375 pages d’Annexes. Six d’entre elles constituent chacune un véritable rapport thématique venant soutenir le diagnostic initial.
Support | Contenu | Nombre de pages |
---|---|---|
Rapport | Diagnostic + feuille de route en 3 axes | 40 |
Plan d’action détaillé | 13 propositions | 30 |
Annexes | 375 | |
Annexe 1 | Mesures de règlementation des communications commerciales | 82 |
Annexe 2 | Le système d’autorégulation des communications commerciales | 62 |
Annexe 3 | Enjeux sectoriels (dont transports, alimentation, mode) | 57 |
Annexe 4 | Enjeux liés aux plateformes en ligne | 41 |
Annexe 5 | Données sur le secteur des communications commerciales et les impacts environnementaux des produits | 104 |
Annexe 6 | Impacts des communications commerciales et de leur régulation sur les choix des consommateurs | 42 |
Annexe 7 | Liste de personnes rencontrées | |
Annexe 8 | Lettre de mission |
Alors que les pouvoirs publics, à l’initiative du Ministère de l’environnement, avaient publié en 2020 leur premier rapport panoramique sur le sujet, intitulé Publicité et environnement (85p), que la société civile avait livré le sien la même année avec Big Corpo (220p), ce support constitue désormais le travail le plus approfondi sur le sujet jamais réalisé sur le sujet.
Et ce travail permet de dresser deux constats sans appel :
Sourçant méthodiquement un nombre incalculable de données, articulées par une approche analytique rigoureuse, il permet avant tout de clore un certain nombre de débats concernant la réalité des effets de la publicité sur les individus, les consommateurs et les citoyens.
Ainsi, dès le début du corps du rapport, on lit que « [s]i les résultats de la recherche ne sont jamais univoques au point de dicter l’arbitrage politique, ils sont suffisamment étayés pour orienter les acteurs publics dans les enjeux d’intérêt général liés à une meilleure régulation des communications commerciales. »
Puisqu’« [il] est désormais largement démontré que :
les communications commerciales influencent les comportements des consommateurs (….)
les communications commerciales font évoluer les goûts et les attentes des consommateurs (...)
les enfants et adolescents sont significativement plus vulnérables aux communications commerciales (...)
[les communications commerciales pour un produit et une marque donnés ont un effet sur les individus et la consommation] »
Puis l’Annexe 6 (lien externe), entièrement dédiée à ces enjeux, assoit ce diagnostic.
Ce dernier s’appuie ensuite sur l’analyse approfondie des données de dépenses publicitaires par secteurs – en grande partie basée sur nos propres travaux (lien externe), réalisés avec l’Institut Veblen depuis 2022 - qui montre leur forte concentration par « des annonceurs mettant en avant des produits qui sont à l’origine de surpoids et d’obésité (produits alimentaires au Nutri-Score D et E) et d’une part importante des impacts environnementaux de la France » (p7). Toute l’Annexe 3 (lien externe) est dédiée à cet angle d’analyse. Elle livre de nombreux chiffres inédits et très significatifs sur le sujet, y compris le croisement entre la part, par secteurs, des dépenses publicitaires et celle de leur empreinte carbone.
Dans ce contexte, une analyse détaillée des dispositifs de régulation existants (Annexe 1 (lien externe) sur le cadre réglementaire et Annexe 2 (lien externe) sur l’autorégulation) a été réalisée, et a conduit les auteur·es à la conclusion suivante : « L’encadrement des communications commerciales, sans pilotage global, repose d’une part sur le contrôle des pratiques commerciales trompeuses et sur la responsabilisation du consommateur, et d’autre part sur un système d’autorégulation limité et incomplet » (corps du rapport p13) et « en leur état actuel, ni la réglementation, ni l’autorégulation par les professionnels ne permettent d’assurer que les communications commerciales contribuent à une consommation plus durable ». (synthèse p2).
Si le caractère éclaté de la réglementation est soulignée, les faiblesses de l’autorégulation – Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, ou « ARPP » - et du dispositif de « contrat climat » mis en place par la loi Climat et résilience en 20211– sont clairement exposées.
Concernant l’ARPP, il est considéré que « [son] rôle de rédaction, de diffusion et de mise en œuvre de règles déontologiques et de bonnes pratiques est utile, mais limité par un niveau d’exigences insuffisant, une portée du contrôle réduite aux acteurs volontaires et concentrée sur les publicités télévisées avant diffusion, ainsi qu’un dispositif de signalement après diffusion déficient et méconnu. (…) Malgré l’importance économique du secteur des communications commerciales et son rôle potentiel de levier pour la transition écologique, ni l’ARPP ni le secteur dans sa globalité ne font l’objet d’un suivi par l’administration ».(synthèse p2).
Il est également souligné que l’absence de contrôle sur la publicité en ligne avec les grandes plateformes, qui concentrent désormais plus de la moitié du marché publicitaire, constitue un frein important à la capacité à réguler le secteur.
1. Sur les contrats climat, le rapport de Ministère de l’environnement, publié au matin de la conférence organisée à l’Assemblée nationale par Communication et démocratie et l’Institut Veblen pour tirer un premier bilan de la Loi Climat et résilience, posait déjà un diagnostic sévère de ce dispositif d’engagement non contraignant qui devait, selon le texte de loi conduire à réduire la publicité pour les produits à fort impact environnemental.
Dans ce contexte, les auteur·es du rapport jugent « nécessaire de définir une politique publique cohérente (…) permettant d’assurer un suivi global des communications commerciales et de leur contribution à une consommation plus durable » et recommandent de confier la coordination au Premier ministre (proposition 1)
La feuille de route proposée invite ouvrir 3 chantiers :
la révision et le renforcement de la régulation de la publicité en ligne
la refonte des outils existants, principalement l’ARPP, les contrats climats et les dispositifs d’information du consommateur (mentions légales, Nutri-Score, etc.)
la mobilisation de divers leviers de régulation ambitieux tels que l'interdiction de la publicité pour certains secteurs, voire la réduction de la pression publicitaire globale
Nous n’entrerons pas, dans cette analyse, sur le premier chantier dont les leviers réclament un travail spécifique au niveau européen, à la différence des deux chantiers suivants sur lesquels le législateur français a la main pour agir dès maintenant.
Voici une reformulation des propositions qui portent sur les deux derniers chantiers et qui ont été retenues dans la liste des 13 principales propositions (d’autres propositions, non reprises dans la liste finale restreinte, figurent aussi dans le rapport) :
Proposition 7 : Mettre l’ARPP sous tutelle, notamment par le biais de l’ARCOM1
Proposition 8 : Faire le ménage, au moyen de la certification, dans la jungle des labels et des allégations
Proposition 9 : rendre le Nutri-Score obligatoire sur les communications commerciales et les produits et réduire la CC pour les produits D et E (voir les 5 sous-recommandations)
Propositions 10 et 11 : déployer l’affichage environnemental pour ensuite supprimer les mentions obligatoires (dont inefficacité est expliquée dans l’Annexe 6)
Proposition 12 : rendre les « contrats climat » contraignants
Proposition 13 : interdire la CC (y compris par les influenceurs) pour les vols en avion court ou les voyages à haute intensité carbone et réduire la publicité pour les SUV à moins de 25 % en 2028 (voir les 4 sous-recommandations)
1. La loi prévoirait l’homologation des recommandations d’intérêt général, leurs modalités de mise en œuvre, la gouvernance de l’ARPP, et son suivi comme son évaluation (synthèse). Le rapport fournit également une proposition concrète d’amélioration de la règle déontologique de développement durable de l’ ARPP, en pièce-jointe de l’annexe II « visant à faire la démonstration que celle-ci demeure, en l’état, largement perfectible et en deçà des ambitions environnementales de nombreuses entreprises » (Plan d’action détaillé p13);
Au-delà des propositions concrètes, un des éléments les plus importants du rapport est sans doute l’argumentaire qui conduit les auteure·s à défendre des interdictions sectorielles et une réduction globale de la pression commerciale, deux piliers de la vision défendue par CODE qui, sur ce point, souscrit entièrement à l’analyse du rapport :
« Mieux consommer en faisant évoluer les communications commerciales vers la promotion de produits plus durables ou meilleurs pour la santé sera un premier pas utile. Néanmoins cela ne suffira pas à atteindre les objectifs fixés pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et respecter les limites planétaires. En effet, ne chercher qu’à faire évoluer ces communications plutôt qu’à les réduire pourrait conduire à dissimuler l’enjeu de surconsommation des ressources sous une apparence plus acceptable, celle d’un « consumérisme vert » (…) « [La] limitation progressive voire l’interdiction des communications commerciales sur les produits dont la consommation retarde la transition écologique constitue un vecteur efficace, et préféré des consommateurs, car il ne remet pas en cause la liberté de consommer. »
Finalement, si aucune proposition concrète de politique fiscale globale des dépenses des annonceurs n’est inclue dans les 13 recommandations spécifiques, l’intérêt d’une telle vision est clairement exposé. Ainsi, les auteurs indiquent que « la taxation de l’ensemble des communications commerciales » est considérée comme envisageable lorsque « la croissance de leurs volumes atteint des niveaux jugés incompatibles avec l’objectif de sobriété » (p39 corps du rapport).
De fait, la proposition de taxation de CODE-IV, de 8 % sur les grands annonceurs, est longuement analysée en Annexe 6 (lien externe) (p23-24) et le plaidoyer en faveur de cette proposition, dans le corps du rapport (p39), est significatif : « Le principe d’une telle taxation serait cohérent tant au plan micro-économique, car les communications commerciales seraient un moyen de conserver un pouvoir, voire une rente de marché qui pèse sur les prix et la concurrence, ainsi qu’au plan macro-économique, car elles constitueraient un mécanisme persuasif d’augmentation de la préférence pour la consommation sans lien avec le bien-être (cf. Annexe VI).
Le risque principal étant d’évincer les plus petits annonceurs, le mode de calcul d’une telle taxe devrait cibler les annonceurs présentant des dépenses significatives. Une telle taxe n’a pas été expertisée dans le détail par la mission mais, en première analyse, au regard des échanges avec la direction de la législation fiscale (DLF), elle ne parait pas soulever de difficulté juridique ou technique insurmontable. »
Ce décryptage à chaud s’est focalisé sur les principaux enseignements de ce rapport, mais une analyse approfondie de ses annexes révélera des éléments additionels. Communication et démocratie diffusera d’autres analyses relatives à ce document.
Par ailleurs, les conséquences politiques de ce rapport - certaines sont anticipées dans le Point de vue de Renaud Fossard également publié lors de la fuite du rapport (lien externe) - seront l’objet d’une veille active de l’association, qui donnera également lieu à la publication de contenus.
Ça y est, il a fuité. Et tout dans ce rapport est explosif. Il promet de faire bouger les lignes sur la régulation de la publicité, à court terme peut être déjà, à long terme assurément.
Informations
Crédits
Transcription